C’est un frémissement, à peine une tendance. Face à la crise, quelques journaux taillent dans les coûts et tentent de se passer des agences de presse.
Aux Etats-Unis, le groupe Tribune Co., qui publie le Chicago Tribune et le Los Angeles Times, a essayé début novembre de ne pas utiliser pendant une semaine les dépêches d’Associated Press (AP), la principale agence américaine.
Les journaux du groupe envisagent d’avoir recours à d’autres agences internationales, comme Reuters ou l’Agence France Presse (AFP), dont l’offre est moins chère aux Etats-Unis.
En France, à une échelle beaucoup plus modeste, plusieurs quotidiens régionaux ont franchi le pas. Le premier a été Paris Normandie, en janvier 2009. Le quotidien normand, qui diffuse à 60 000 exemplaires, payait environ 300 000 euros son abonnement annuel à l’AFP.
“Nous utilisions bien moins de 10 % de ce que nous fournissait l’agence, raconte Sophie Bloch, rédactrice en chef. Depuis quinze ans, nous expliquions que cette offre ne correspondait pas à nos besoins, en ayant l’impression de ne pas être entendus. Nous n’avons pas pris cette décision de gaieté de coeur.” Paris Normandie a donc souscrit un abonnement au fil français de Reuters pour un prix beaucoup plus bas.
En juillet, le quotidien La Provence, qui diffuse à 143 000 exemplaires, a fait le même choix. Comme Paris Normandie, il appartient à Groupe Hersant Média (GHM).
Mais la décision n’a pas été concertée. Selon Didier Pillet, PDG du quotidien marseillais, l’abonnement AFP coûtait “550 000 euros par an, soit l’équivalent d’une dizaine de postes de journalistes”. Le choix a été budgétaire, mais pas uniquement.
“Nous regardons le monde depuis Marseille, développe M. Pillet. Nous devons être bons sur la Méditerranée, en nous appuyant sur un réseau de correspondants, des universitaires. A quoi bon faire réécrire des dépêches par des diplômés de l’enseignement supérieur? C’est une manière paresseuse de travailler. Il vaut mieux consacrer plus d’argent aux reportages.” La Provence s’est abonnée au fil de Reuters en français pour un montant de 60 000 euros.
Après quelques mois sans AFP, les avis sont nuancés. Parmi les points noirs, la couverture des faits divers.
“Nous sommes tout le temps sur le fil du rasoir pour ne pas rater une information, témoigne Serge Mercier, journaliste et délégué syndical SNJ à La Provence. Sur notre zone de diffusion, tout va bien, nous avons nos correspondants. La difficulté vient des départements limitrophes. Récemment, il y a eu des inondations à Fréjus, dans le Var. Si un collègue de Nice Matin, qui est abonné à l’AFP, ne nous avait pas alertés, nous serions passés à côt é.”
Les résultats sportifs sont aussi un problème. “La Ligue 1 de football est très imparfaitement suivie par Reuters, constate un journaliste de La Provence. Alors on bricole, on fait des ratages…”
Malgré ces contraintes, les journalistes sont unanimes à refuser de piller l’AFP en reprenant les dépêches accessibles sur Internet: “On est modeste, mais digne”, résume M me Bloch. Le Web sert simplement d’alerte.
L’absence de l’AFP a des vertus. “Cela oblige à davantage de rigueur, se réjouit un rédacteur de La Provence. Il n’est plus possible d’écouter une conférence de presse d’une oreille distraite, en se disant qu’on recopiera la dépêche…”
Un journaliste de Paris Normandie trouve que “Reuters a plus de recul que l’AFP sur l’actualité nationale”. Tous sont d’accord pour dire que l’absence de l’AFP oblige à “travailler à l’ancienne”, en passant des coups de téléphone et en cherchant davantage l’information. Ce qui donne finalement plus d’intérêt au métier.